C’était à l’époque toute une expédition que de quitter notre quartier des Salines à capd’ail,pour ‘’monter’’ à la première ‘’colo’’ de Pierrevert.Après une année passée à user nos fonds de culottes sur les bancs’’des Frères’’ à Monaco-Ville,cet été 1956,c’était le temps béni ou le mouvement de Marius se nommait tout simplement Enfance Populaire.
La vieille Simca Aronde de mon père avalait à 50km/h le mince ruban d’asphalte de la Nationale 202,et après une halte nécessaire à l’aération du moteur sur le plateau de Sault, sautait la Durance et se retrouvait au pays des santons et des félibriges. Arrivée à Pierrevert,notre noire hirondelle, un peu essoufflée, dirigeait la fin de son vol vers ‘’le terrain de Marius’’,sous le regard nonchalant d’une poignée d’habitants à l’accent de Raimu. A la voir passer, le Mistral aurait cru un moment se voir déferler dans un paysage du sud de l’Italie, tant son toit était encombré de planches,cageots,outils,le tout couvert d’une bâche .Et que dire de son chauffeur, moustaches au vent et mouchoir noué aux quatre coins bien enfoncé sur sa tête, transpirant dans son ‘’Marcel’’ blanc, les mains sur son volant de bakélite ?
C’était le temps ou les premiers colons s’installaient à Pierrevert……..
Le terrain se divisait en trois parties bien distinctes.
A l’extrémité Est était un lavoir, sorte de grotte d’ou sortait une source fraiche et que Marius aimait à nommer ‘’sa casemate’’.Avec une bâche tendue à deux piquets, cette excavation se transformait sous les mains de Florent et Isidore en acceptable cuisine, plantée dans ce décor provençal ou officiait avec art Madame Bruno, la cuisinière du camp et mère de notre ‘’chef de famille’’ Lucien. Elle était secondée dans ses tâches par ma mère, infirmière du campement.
Dans la partie centrale prenaient place une kyrielle de tentes oranges à doubles toits et moustiquaires, destinées au logement des colons et de l’encadrement .Enfin, dans la partie la plus à l’ouest et à l’écart, Florent et Isidore avaient creusé deux gros trous dans le sol et y avaient posé deux cabanes de bois destinées aux commodités. Voilà à quoi ressemblait ce faubourg de pierrevert que fut le premier camp de Marius…..
Ses adjoints n’étaient guère plus âgés que nous-même,jeunes colons. Alors que les premiers désastres de l’acné fleurissaient sur leurs joues,nous perdions tout juste notre duvet. CES ‘’grands’’ avaient pour noms :Lucien Bruno ,Micui, Tony Camilla, Dady Verando ,Jo Dery, Bébé Berro, Jean Piere Soffiotti, Jean Charles Grassi, René Giuliano,Paul Cane ,Armand Balestra…….. Ils étaient dons nos ‘chefs de famille’, chacun ‘père’ d’une demi douzaine d’enfants……… Au ‘’ho hé’’ crié le matin par Marius, répondait le ‘’hé ho’’ de ceux qui étaient déjà réveillés et s’activaient alors à secouer les autres, ce qui signifiait que les chouettes cédaient la place aux alouettes qui en un battement d’ailes, sortaient des tentes et se mettaient sous la protection de leurs chefs de famille avant de se diriger vers les ‘’cuisines’’.Mais avant de tremper nos lèvres dans le lait fumant, nous entonnions le traditionnel :
C’est un bon appétit que nous allons nous dire
C’est un bon appétit que nous allons nous chanter
C’est un bon appétit qui nous fera sourire
Un,deux,trois,les amis,un,deux,trois ,allons-y
Bon appétit, bon appétit merci
Sans ce rituel, répète avant chaque repas, il était impensable d’avaler quoi que se soit. le petit déjeuner achevé, après un brin de toilette, commençait alors véritablement nos journées. Jeux se pistes, ateliers de poterie, fabrication de cerfs-volants,virrées au moulin de Montfuron avec le ‘tub’ Citroën suivi par la deuche grise de Marius à la célèbre immatriculatin’’1033’’.L’après-midi débutait impérativement par ce qu’imposait l’ardeur du soleil mais qui était pour certains ‘’un supplice’’ :la sieste. Allongé sur nos sac de couchages bleus à l’ombre d’u chêne, nous étions sensés dormir ou du moins fermer les yeux. celui qui avait repéré un ‘’Lambert’’ et se redressait sur sa couche était sommé par son chef de famille de replonger sur son duvet, quitte à faire le mort, tandis que le Lambert disparaissait sous un buisson….
Pour autant que je m’en souvienne,c’est vers 15 h que la ‘’punition’’ cessait. Enfin nous pouvions vaquer à nos occupations quotidiennes,c’est à dire jouer, et parfois aller dérober non loin du campement quelques melons ou grappes gorgés de soleil, petits péchés de piètre conséquence, absous en confession par Marius,à condition de passer sous silence le lieu du chapardage…
Les premiers hululements des chouettes retentissant,c’est le soir, alors que le ciel enfilait son manteau rouge, que l’alchimie de Pierrevert s’opérait. Après le dîner, la veillée. Moment privilégie, moment intense, moment magique….
Revêtus de nos petites lainés, assis autour d’un grand feu de camp, carnet de chants rouge sur les genoux, nous entonnions d’un même chœur :
‘’O Sari Mares, Le petit chalet, Le ciel est rouge,…
Les escarbilles du feu, mais il se peut que le sommeil aussi, ayant rougi nos yeux ,nous nous levions après le dernier couplet, et bras dessus bras dessous, tous ensemble nous chantions la prière du soir :’’Seigneur, rassemblés près des tentes, pour saluer la fin du jour….’’et une quarantaine de voix à l’unisson montaient vers la voûte céleste afin de remercier le Créateur de nous avoir accordé cette si belle journée, une journée de l’été 1956….
Que sont mes amis devenus, plus de 40 après avoir adressé cette prière vespérale, Tous on grandi, sont devenus parents, leurs cheveux ont blanchi, sont même
tombés pour d’autres. Lucien est allé rejoindre Marius,Micui l’a suivi avec Guy…Et si je tends un tant soit peu l’oreille vers ce lieu caché au fin fond du ciel, je peux les entendre
chanter :’’qu’il n’y a rien de plus beau, que leur petit chalet ,LA HAUT’’
Christian Vanzo